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  >  Flâneries   >  Enfance bordelaise de Mauriac avec sa mère

Sur la photo de famille, un petit garçon au regard sombre se blottit sous l’aile de sa mère. Ils sont entourés tous deux par le reste de la fratrie, formant rempart entre eux et le monde. La mère a le regard triste et perdu. Le petit, au contraire, fixe droit l’objectif de ses yeux noirs où semble flamber une colère sourde : « toi, qui nous observe, qui es-tu pour tenter de percer le mystère du lien qui m’unit à ma mère ? »

Quand François Mauriac naît à Bordeaux, le 11 octobre 1885, il est le dernier enfant du couple que forme depuis sept ans ses parents, Paul Mauriac et Claire Coiffard, mariés depuis Janvier 1878. Germaine, Raymond, Jean et Pierre l’ont précédé dans ce qui est un foyer aimant et heureux. Peu de temps après la naissance de Germaine, Paul écrit, dans un journal dont subsistent quelques feuillets épars dans les archives de la Bibliothèque Municipale de Bordeaux :

« Hier soir, Claire tenait sur ses genoux notre petit baby endormi. Je me suis agenouillé à ses pieds, et nos deux fronts se touchaient au-dessus de l’enfant. Claire m’a dit « C’est nous pourtant qui avons fait ce petit être ! Cela ne t’étonne pas ? » J’ai répondu « Oui mais nous avons été les instruments aveugles d’une force merveilleuse et mystérieuse. » Elle m’a dit « C’est le Bon Dieu qui l’a voulu ». J’ai répondu « C’est un grand bonheur que nous avons ! Il y a dans ce petit être qui dort là un mélange de nos deux sangs… Nous sommes tous deux unis en lui… Comme il dort doucement ! Comme nous nous aimerons en l’aimant ! »

Les parents s’aiment, les enfants sont choyés, Claire est heureuse.
Pourtant, le 11 juin 1887, le jour des vingt mois du petit François, Paul Mauriac, rend brutalement son âme au monde, après une agonie de plusieurs jours consécutive à un abcès au cerveau. C’est un cataclysme. Claire Mauriac, veuve à trente quatre ans, devient alors, en tant que tutrice des enfants, la dépositaire d’un patrimoine familial qu’elle se devra de transmettre, au moins intact, au mieux enrichi, à ses enfants, une fois ceux-ci devenus adultes. Elle ne se remariera jamais. Quarante-deux ans d’un veuvage où elle vivra pour ses enfants et rien que pour ses enfants, cherchant par tous les moyens, et surtout la prière et une foi craintive, à les préserver du mal.

Petit dernier de la fratrie, François y occupe une place à part. Il est le seul qui ne gardera aucun souvenir du père disparu, et grandira dans l’ombre de son absence, avec pour seul pilier : Claire. Il sera à jamais son « tout petit », comme elle le lui écrit pour ses trente ans : « Mon cher petit François, Tu es bien toujours mon petit, tu es, au moins, celui qui l’est resté, et malgré tes trente ans qui ne sonneront que le douze, je ne sais si c’est une illusion, mais je vois que tu as la même affection qu’autrefois. »
Claire Mauriac, au départ emmurée dans son immense chagrin, puis endurcie par la nécessaire dignité de tenir un rang et des apparences, gardera néanmoins toute sa vie une indéfectible tendresse pour ses enfants, puis ses petits enfants.
François, même devenu adulte, sera toujours ce petit garçon au regard sombre, blotti contre sa mère, pour laquelle il ressentira toute sa vie « un amour immense ».

En 1907, au moment de quitter Bordeaux pour Paris et rencontrer son propre destin, il lui dédiera ces mots :
« Mais je t’évoquerai dans le deuil de ton châle
Lorsque tu souriais en retenant tes larmes,
Ô mère, à ton dernier enfant que tout désarme
Et qui n’a pu garder que ce sourire pâle… »

 

Par Anne Duprez, diplômée de l’Ecole du Louvre et d’une Licence d’Histoire de l’Art et d’Archéologie, elle est également guide-conférencière, journaliste, écrivaine et mère de famille, une polyvalence et une force qui la font sans doute ressembler à son idole…

A lire :

Claire Mauriac, le roman d’une mère. Editions Le Festin 2015. Anne DUPREZ

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